Interviews, lettres, divers

25 janvier 2015  : Interview exclusive de Denis Langlois par la journaliste Liliane Langellier sur son blog "La piste de Lormaye".

Extraits de cette interview :

Liliane Langellier : - Vous évoquez « la surmédiatisation de l’affaire ». Bien orchestrée, depuis le tout début, par la famille Seznec. Comment expliquez-vous que la presse fut unanimement contre Guillaume Seznec en 1923/1924. Alors, qu’aujourd’hui, elle est aveuglement et unanimement pour ?

Denis Langlois : - Ce que vous dites était vrai en 1923/1924 pour l’affirmation de la culpabilité de Seznec et en 2006 pour l’affirmation de son innocence. Je ne suis pas sûr que l’on retrouve aujourd’hui cette unanimité. A cela plusieurs raisons. Les travaux d’historiens ont montré que la thèse de l’innocence totale de Seznec présentait quelques failles et était en grande partie une "légende" de plus en plus éloignée de la réalité. Le tournant s’est produit avant même l’ultime décision de la Cour de révision de décembre 2006. Je le daterai de l’année 2005 : En mars 2005, l’hebdomadaire "Le Point" a publié un article de six pages intitulé "Et si Seznec était coupable". Cet article s’appuyait sur les recherches de l’historien Michel Pierre et sur un livre primordial du fait de son objectivité "L’Affaire Quémeneur-Seznec, enquête sur un mystère" du journaliste Bernez Rouz. A partir de ce moment-là, les voix n’ont plus été tout à fait unanimes pour clamer que Seznec était innocent et que Denis Seznec était un courageux petit-fils qui se battait pour faire reconnaître cette innocence que les méchants magistrats refusent depuis si longtemps. Sur le Net les débats sont devenus acharnés, mais les partisans de Seznec ont fini par céder la place à ceux qui doutent de l’innocence totale de Seznec. Aujourd’hui, sur les blogs, les fans de Denis Seznec ont pratiquement disparu. L’important travail de recherche et de synthèse effectué par certains blogs, en premier lieu le vôtre, y sont pour beaucoup. Ils ont fait progresser largement la connaissance que nous avons de l’affaire Seznec. Personnellement je ne fais qu’ajouter une pierre à cet édifice déjà conséquent. N’oublions pas non plus un autre élément important : : le ralliement en 2012 de Denis Seznec à la candidature de Marine Le Pen. Certains journalistes - en majorité de gauche - qui le soutenaient ont été choqués, ils ne sont pas prêts à aider quelqu’un d’aussi proche du Front national.

- Vous n’êtes pas sans savoir combien les médias se bornent à une pensée unique – celle du petit-fils – pour l’affaire. Croyez-vous que la sortie de votre nouveau livre est enfin l’occasion de les faire bouger et penser autrement ?

 Je l’espère bien sûr et je vais tout faire pour que cela se réalise, non seulement par la publication de mon livre, mais par une action militante essayant de s’approcher le plus près possible de la vérité et d’obtenir enfin une révision équitable. Ma démarche est certainement ambitieuse, mais il s’agit, à la fin de ma vie, de contribuer à clore définitivement sur le plan judiciaire - je ne parle pas du plan historique - un dossier ouvert il y a 92 ans, qui trouble à juste titre les consciences. Il est important aussi que le précédent de l’affaire Seznec serve de leçon dans l’avenir. Tout cela pourrait paraître dérisoire au moment où le terrorisme se manifeste en France, mais la recherche de la vérité et de la justice reste plus que jamais d’actualité dans une société rongée par la désinformation.

- Vous avez dû, pendant quatorze années, de 1976 à 1990, vous taire sur des sujets interdits par la famille. Ce mensonge par omission n’a-t-il pas été cruel pour un homme de combats et de vérités tel que vous ?

 Certainement. J’ai d’ailleurs fini, comme je l’ai dit précédemment, par entrer gravement en conflit avec Denis Seznec dont je n’appréciais pas l’attitude vis-à-vis des médias. Ce vedettariat qui s’appuyait sur une "légende" fort discutable me semblait dommageable pour la demande en révision que j’avais déposée en 1977. Sa stratégie m’apparaissait mener à un échec et j’avais malheureusement raison. Cet affrontement a abouti en 1990 à mon éviction d’une affaire dont je m’occupais gratuitement depuis 14 ans.

- Vous êtes resté silencieux de 1990 à 2013. Quels sont les motifs qui vous ont poussé à parler et à ouvrir un blog sur Internet ?

 Je ne suis pas resté tout à fait silencieux dans l’affaire Seznec. En 1996, lorsque la Commission des révisions a rejeté la demande que j’avais déposée, mais qui, dès que j’ai été écarté de la défense, s’est alourdie de nombreux arguments fort contestables, j’ai essayé d’intervenir auprès du conseiller-rapporteur de la Commission en révélant certaines choses dissimulées jusque là. Je n’ai pas été entendu. De toute façon, durant cette période de 1990 à 2013, j’ai fait beaucoup d’autres choses. Il n’y a pas que l’affaire Seznec dans ma vie. En tant que militant, j’ai essayé, dans le cadre de l’Appel des 75, de m’opposer à la Guerre du Golfe, j’ai séjourné dans des pays en guerre pour apporter mon témoignage, j’ai vécu durant une année au Liban, j’ai écrit des livres. Pourquoi ai-je décidé en 2013 de donner connaissance aux internautes de certaines pièces du dossier Seznec ? Il y a de multiples raisons, mais je tiens à dire que j’ai été encouragé par la grande activité que j’ai constaté sur le Net. Un site comme le vôtre, "La Piste de Lormaye" a été pour moi très incitatif. Un véritable dopage. J’ai considéré que le moment était venu de révéler certaines choses, mais aussi de tenter une dernière démarche pour obtenir enfin la révision du procès de Seznec, sur des bases conformes à la vérité et à la justice. Je ne conçois pas cette lutte militante comme un acte individuel, mais comme un combat collectif auquel je souhaite associer tous ceux qui, depuis plusieurs années, agissent dans la même direction.

- A lire votre blog, on comprend très vite que vous pensez Guillaume Seznec faussaire mais non meurtrier. Pouvez-vous nous livrer plus de détails ?

 C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé et c’est celle que partagent en général ceux qui se sont penchés honnêtement et sérieusement sur cette affaire. Guillaume Seznec a indéniablement participé à la confection des faux en écriture. Il y a apposé sa signature, ce qu’il n’a jamais contesté, au point d’ailleurs de ne pas demander de contre-expertise. Les trois expertises officielles l’ont confirmé de façon unanime. Trois mots rajoutés sur l’une des fausses promesses de vente lui ont aussi été attribués. Pour aller à l’encontre de ces expertises officielles, Denis Seznec s’est appuyé sur des expertises officieuses manquant du plus élémentaire sérieux. Le voyage au Havre de Seznec, l’achat de la machine à écrire et le retour à Morlaix ne font plus aucun doute. Il y a beaucoup trop de témoignages qui vont dans ce sens. La découverte de la machine à écrire chez Seznec est plus douteuse. Il est possible qu’elle ait dans un premier temps été trouvée ailleurs, mais cela n’innocente pas Seznec des faux.
Seznec faussaire peut-il ne pas être l’assassin de Quémeneur ? Je n’en sais rien de façon rigoureusement absolue, mais ce que je constate, c’est que personne n’a pu établir formellement sa culpabilité sur ce point. De nombreuses hypothèses ont été avancées, certaines sont séduisantes, mais aucune n’établit de façon absolument formelle que Seznec a tué volontairement Quémeneur. On ne sait ni où la mort de celui-ci a pu se produire ni dans quelles conditions. Il y a contre Seznec de très fortes présomptions, mais cela est insuffisant. Dès lors, l’acquittement pour le meurtre de Quémeneur aurait dû être prononcé au bénéfice du doute par la Cour d’assises de Quimper et aujourd’hui la révision s’impose de la même façon si l’on veut respecter les principes d’une bonne justice. Mais je ne parle que du meurtre de Quémeneur. Réviser le procès en ce qui concerne les faux serait une injustice commise en faveur cette fois-ci de Seznec.

  Nous sommes encore quelques-uns à faire des recherches approfondies sur l’affaire Seznec. Pensez-vous qu’une fois votre livre publié, réponses seront apportées à toutes nos questions ? Et toutes nos recherches devenues, de ce fait, vaines et inutiles ?

 Non. Je peux vous rassurer, ou bien vous décevoir. Sur de nombreux points, l’affaire Seznec restera une énigme. On en parlera encore longtemps et je suis persuadé que l’on découvrira des choses importantes. A la fin de mon livre, je ne désigne pas, comme dans les romans policiers, le nom du meurtrier de Quémeneur et l’endroit où le corps a été dissimulé. Je révèle une version des faits qui a circulé dans la famille Seznec et circule encore certainement et qui va dans le sens que j’ai indiqué : Seznec faussaire, mais pas meurtrier de Quémeneur. Dans ses livres, Denis Seznec n’y fait aucune allusion, alors qu’il donne des détails sur tout un tas d’hypothèses fantaisistes. Mais il n’était pas le seul petit-fils et cette version a été révélée. L’unité de la famille n’a jamais existé. Marie-Jeanne, la femme de Seznec, s’est opposée à sa belle-mère, les deux fils de Seznec se sont heurtés à leur sœur Jeanne qui avait précédemment tué son mari François Le Her, père de Denis, il en a été de même pour les membres de la génération suivante. Le "secret de la famille Seznec" a été occulté par Denis Seznec. Je le révèle dans mon livre, car c’est pour moi l’hypothèse qui coïncide le plus étroitement avec les éléments du dossier. Je n’y ai relevé aucune contradiction, mais dans la mesure où il s’agit d’un témoignage, certes direct, mais d’un témoignage humain, je ne peux pas être sûr à 100 % qu’il est totalement exact. C’est pourquoi je n’ai pas la prétention de me placer sur le plan de la certitude absolue, mais sur celui du doute qui, rappelons-le, en bonne justice doit profiter à Seznec, quelles que soient les appréciations que l’on peut porter sur sa personne et son comportement. C’est la vérité judiciaire, la révision équitable, qui doit s’imposer, la seule que l’on doit retenir dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme. La vérité historique est autre chose. On la cherchera encore longtemps, mais je ne pense pas qu’elle apportera un jour une certitude absolue de nature à remettre en cause cette vérité judiciaire.

- En réponse à votre « Aujourd’hui, il s’agit d’approcher au plus près de la vérité et de proposer une solution judiciaire équitable : l’annulation au bénéfice du doute de la condamnation de Seznec pour meurtre.", j’ai lu, sur un nouveau blog : Seznec est un faussaire mais cela ne fait pas de lui obligatoirement un assassin. C’est exact. Sauf que le faussaire savait très bien que Quemeneur avait disparu à tout jamais. Si le faussaire n’est pas l’assassin, il est dans le meilleur des cas, le complice. Le doute a bien bénéficié à Seznec puisque la préméditation n’a pas été retenue par le jury de la Cour d’Assises de Quimper en 1924.
Pouvez-vous nous éclairer sur la différence exacte entre la notion de doute et celle de préméditation ?

 Il est difficile de dire que le doute a bénéficié à Seznec en 1924. Le jury a certes rejeté à une voix près la préméditation, mais a considéré très largement - on parle sur ce point de quasi-unanimité - que Seznec avait volontairement donné la mort à Quémeneur, ce qui a entraîné sa condamnation aux travaux forcés à perpétuité. Le rejet de la préméditation - il n’y avait plus dans ce cas assassinat, mais meurtre - a écarté la peine de mort, mais le doute aurait dû lui éviter le bagne, les faux en écriture n’étant pas punis d’une peine aussi lourde. Que Seznec ait été au courant de la mort de Quémeneur semble évident. Il est même possible qu’il ait participé d’une façon ou d’une autre à cette mort et au moins à la dissimulation du cadavre, mais l’accusation n’a pas réussi à le prouver. L’acquittement pour ce chef d’accusation s’imposait donc. C’est là qu’il y a eu erreur judiciaire ou plutôt faute judiciaire. Mais cela ne fait pas de Seznec un innocent total, victime d’un vaste complot, comme son petit-fils le soutient. S’il avait été acquitté pour le meurtre, on aurait pu dire qu’il avait eu de la chance, qu’il s’en était bien sorti, mais qu’une décision équitable avait été rendue.
Aujourd’hui et depuis 1989, la loi n’exige pour une révision de procès qu’un fait ou un élément nouveau "de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné". Nous sommes bien dans cette configuration. Il y a certes doute sur l’innocence de Seznec, mais il y a doute sur sa culpabilité. C’est ce seul doute qui doit être pris en compte par la justice et déboucher sur une révision.

- J’ai lu dans Ouest France Quimper du vendredi 31 octobre, que le petit-fils, Denis Le Her Seznec, allait demander une nouvelle révision du procès de son grand-père, début 2015. Il l’a également précisé lors d’une émission de radio le 19 décembre dernier. Ce sera la quinzième. Qu’en pensez-vous ?

 Je n’hésite pas à le dire, ce serait pour l’affaire Seznec une catastrophe et certainement un enterrement définitif. Denis Seznec, ses propos sur RTL l’ont montré, est incapable de changer de version et de stratégie. Il s’est identifié à son grand-père et c’est sa propre innocence qu’il défend. On peut considérer qu’il est le principal responsable du rejet des deux dernières demandes en révision. Des indiscrétions de magistrats de la Cour de Cassation ont montré que les juges auraient accepté une révision en ce qui concerne le meurtre si elle s’était accompagnée d’une confirmation des faux. Denis Seznec, adossé à la "légende Seznec", s’est obstiné dans la voie de l’innocence totale, du tout ou rien et il a récolté le rien. Cela a été l’une des raisons de notre opposition lorsque j’étais l’avocat de sa famille. Il s’est débarrassé de moi, mais il a échoué comme je le craignais. Ne voulant pas reconnaître cet échec, il continue d’affirmer que la Cour de révision a rejeté la demande à quelques voix près. C’est inexact. Les révélations concordantes de magistrats donnent une majorité de 28 voix pour le rejet de la révision contre 5. Dans un autre article que celui que vous citez, Denis Seznec fait allusion à une piste canadienne. Quémeneur ne serait pas mort en 1923, mais aurait fui au Canada. Comment peut-il penser un seul instant que des magistrats ayant accès au dossier puissent avaler une telle fable ?
Le meilleur service que Denis Seznec pourrait rendre à la mémoire de son grand-père serait de laisser œuvrer ceux qui s’appuient sur des arguments plus solides que les siens. Il faut qu’il cesse de considérer que l’affaire Seznec lui appartient. Elle appartient à tous ceux qui sont épris de vérité et de justice.

 

17 mars 2015 . Avis de la Librairie "Au Chat Pitre" :

"Plus qu’un fait-divers : une fresque terriblement humaine.
Au-delà des révélations, qui sont faites sur les possibles circonstances de la mort de Quémeneur, l’auteur, ancien avocat de la famille Seznec, nous décrit de manière minutieuse et impartiale les péripéties, souffrances et turpitudes qui ont accompagné cette longue affaire. En fin observateur de l’humain et de la société, il nous fait part de ses observations sur le dossier en lui-même, mais aussi sur les terribles passions qui ont envenimé cette affaire : celles qui ont conduit Guillaume Seznec à creuser sa propre tombe, à être voué aux gémonies, puis envoyé dans l’enfer des bagnes de Guyane, celles qui ont détruit petit à petit sa famille, la conduisant à agir de manière parfois irrationnelle lors des procès en réhabilitation, celles qui ont poussé certains individus : journalistes, juristes, apprentis détectives, « témoins », à profiter de cette affaire, transformant chaque audience en un véritable cirque médiatique. Un livre captivant, sans jugement où l’auteur tente de nous convaincre de ne pas céder à la haine et aux jugements intempestifs, mais de toujours accorder le bénéfice du doute."

 

7 mars 2015 : Lettre de Michel Lebailly  :

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Cher Denis,
J’espère que ton livre et toi-même avez rencontré le meilleur accueil en Bretagne. J’ai préféré attendre ton retour au calme (du moins selon l’agenda de ton site) pour te remercier du plaisir de cette lecture et t’en dire simplement quelques mots.

Il y avait sinon de l’appréhension, du moins de la curiosité. Pas tant sur l’affaire elle-même que sur la manière dont tu allais l’aborder. Après le premier livre, comment allais-tu t’y prendre ? La rupture de ton est nette et rapide : Seznec n’est plus ce frère malheureux que tu tutoies mais un profiteur de guerre. Bigre. Voilà qui donne envie d’en savoir plus. Et c’est ainsi que je suis entré dans le second aussi facilement que dans le premier !
Je ne sais pas comment tu t’y prends pour que, malgré toute la rigueur du récit et l’exposé des faits, s’en dégage une poésie teintée d’absurde (Pierre Dac toujours) : les gares de Houdan et Dreux, les péripéties des machines à écrire, les mystérieuses fêtes avec leurs coups de feu nocturnes, les apparitions et les disparitions… On pense à "La maison de Marie Belland"…
N’ayant jamais sérieusement essayé de comprendre l’affaire Seznec elle-même, je me suis régalé d’autant plus librement de son récit dans la première partie du livre : du mystère, du burlesque, de l’émotion. Les personnages secondaires auxquels tu sais donner vie en quelques lignes. Et puis les à-côtés de l’affaire bien sûr : les défaillances de la justice, la versatilité de l’opinion, le rôle des francs-maçons, la fragilité des témoignages, la politique, la presse… Je redoutais aussi, bien sûr, un effet de répétition. Mais la manière d’aborder ton sujet est si différente qu’on ne ressent rien de tel.
Après cette première partie, comment allait-être construite la seconde ? On s’attend à une classique mais efficace montée du suspense avec à la fin le coup de théâtre. Eh bien non ! Tu as vraiment décidé de bousculer ton lecteur…
Dévoiler le "secret" dès le début de cette seconde partie est une belle audace littéraire. C’est à la fois un temps fort très réussi et l’annonce que l’essentiel n’est pas là. Que le sujet du livre est ailleurs. Il fait alors écho au "Déplacé", sans le filtre du roman. Comment le narrateur (donc toi, du moins on le suppose !) tente de concilier son idéal, les contradictions de ses engagements, la complexité de la réalité.
Pardon de cette grandiloquence mais c’est un beau livre sur le temps qui passe et sur ce qu’est une vie. A celle de Seznec répond la tienne. Les années de bagne rejoignent les années passées sur "l’affaire". Le silence de Seznec rappelle le tien, obligé de cacher ce qu’il sait, pendant toutes ces années. Seznec est moins lisse, rendu à sa complexité humaine et, d’une certaine manière, toi aussi.
D’une façon très étrange tu montres comment l’autre Seznec t’accompagne dans cette vie. La seconde partie devient l’histoire des deux Denis ! Le double, ou plutôt le reflet inversé du miroir. Comment ne pas être ému par ce passage où tu notes que Denis Seznec a pris un coup de vieux ?...
Et le malheureux Bernard ? On ne peut que s’attacher à cette figure modérée, bienveillante, raisonnable. Elle laisse augurer un dénouement apaisé. Et, au moment où on s’y attend le moins… Ce rebondissement brutal est absolument saisissant, digne des meilleurs polars. La troisième pointe du triangle disparaît. Le duel devient inévitable.
Il est temps que j’arrête mes élucubrations sur les multiples dimensions de ton livre. J’espère que tu as compris tout le plaisir et l’intérêt que j’y ai trouvés.
J’espère aussi te reposer des questions plus classiques sur l’affaire elle-même. A vrai dire, savoir si Seznec sera un jour réhabilité - un peu, beaucoup ou pas du tout - me laisse assez indifférent. Il t’a permis d’écrire deux très beaux livres. Il me permet de mieux connaître un ami. Alors merci Guillaume !

 

Histoire d’une couverture

La couverture d’un livre est importante. Elle attire ou dissuade les clients des librairies. Elle doit dire rapidement ce qu’est le livre, ce qu’il contient. Pas question donc de rater la couverture.

Photo ou pas photo ? "Pour en finir avec l’affaire Seznec" n’a pas échappé à l’interrogation. Dans une affaire judiciaire où les médias ont toujours été présents, la photo s’imposait. Mais quelle photo ? Certains livres précédents avaient été illustrés par la photo d’une voiture Cadillac, un élément essentiel de l’affaire. Bon choix donc, mais le personnage principal, Guillaume Seznec, faisait défaut, ce qui est gênant pour symboliser son histoire.
Pour moi donc Seznec s’imposait. Mais quel Seznec ? Le Seznec à tête d’affairiste de ses quarante ans ? Le Seznec patibulaire de ses photos anthropométriques ? Le Seznec bon grand-père à son retour du bagne ?
Selon la photo choisie, on devine du premier coup d’œil le propos de l’auteur du livre : Seznec coupable ou non coupable. Je souhaitais plus d’ambiguïté : le doute, celui qui aurait dû profiter à Seznec. Pourquoi alors ne pas afficher deux photos : un "mauvais" et un "bon" Seznec ? C’est la première idée qui est venue : la photo anthropométrique et celle du papy affirmant son innocence. Noir et blanc. Un peu manichéen tout de même.

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En cherchant dans mes documents, j’ai finalement proposé un Seznec dans le doute, un Seznec dans la position ou presque du penseur de Rodin ou d’Hamlet : To be or not to be. Seznec peu après son retour du bagne se demandant lui-même s’il est totalement innocent ou non, s’il va ou non être réhabilité. L’horloge au-dessus de lui indiquait midi ou minuit, l’heure du crime. Trop symbolique là aussi. Le maquettiste a déniché une pendule marquant une heure anodine : 7 heures 20. L’heure d’aujourd’hui ou de demain. Celle d’un rendez-vous ou bien d’un train.
Un problème : Seznec tournait le dos aux futurs lecteurs. Il regardait la reliure du livre. Là aussi, le maquettiste a eu une idée : inverser la photo, ce qui était de nature à renforcer le doute : Seznec côté pile, Seznec côté face. Quel est le bon ? Quel est le mauvais ? Où est la vérité, si vérité il y a ?

Pour ceux qui sont attachés aux documents exacts, dûment estampillés, la photo d’origine figure dans le livre (et dans ce site) en bonne place et dans le bon sens. Ils pourront comparer et s’interroger davantage.
Quand je vous disais que la couverture est importante.

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Histoire d’une autre couverture

Il va de soi que pour la couverture de ses livres, le petit-fils Seznec, Denis Le Her-Seznec, qui affirme l’innocence totale de son aïeul, a choisi une photo sympathique de Guillaume Seznec. Tout le monde aurait fait de même.

Pour son "Affaire Seznec en photos" parue en 2010, il a retenu une photo de Seznec, chapeau sur la tête, regard doux et franc. Et pour que le lecteur comprenne bien. Il a précisé à l’intérieur du livre, à la page 24, qu’il s’agit d’une photo de Guillaume Seznec prise "en 1921, soit deux ans avant son arrestation", et il ajoute : "Pendant toute la durée de l’enquête et de l’instruction, on ne le présentera pas sous cet aspect".
Pas de chance. Internet est sans pitié pour les petits-fils justiciers. La photo d’origine existe et elle a été publiée par un autre petit-fils, celui d’un des policiers ayant participé à l’enquête : Albert Tissier. Ce cliché réserve quelques surprises. D’abord, contrairement à ce qu’affirme Denis Seznec, elle n’est pas de 1921, mais de 1923, précisément du 28 juin 1923. C’est même une photo historique, la première photo de l’affaire Seznec qui n’est encore que l’affaire Quémeneur, du nom du conseiller général disparu. Guillaume Seznec, qui demeure à Morlaix, a été convoqué par le commissaire Achille Vidal, qui dirige l’enquête, au siège de la Sûreté Générale, rue des Saussaies, à Paris. Il se fait un peu prier pour s’y rendre et deux policiers sont chargés de l’accompagner.
Devant l’immeuble de la rue des Saussaies, un photographe de presse, qui a bénéficié d’une fuite, attend avec son appareil-photo. Seznec arrive avec ses deux cerbères, dont l’inspecteur Tissier en chapeau melon. Un quatrième personnage est là : policier ou journaliste ? Notre photographe déclenche son appareil. C’est compliqué, on n’est pas encore à l’ère de la photo numérique. Le flash au magnésium est un peu lent. Juste le temps d’une seule photo.
Pas de chance. La photo est ratée, du moins en ce qui concerne le principal personnage, Guillaume Seznec. Les trois autres sont à peu près nets, mais Seznec, le suspect n°1, le seul qui intéresse la presse, n’est guère visible. On distingue mal son visage en grande partie dissimulé par son chapeau rabattu sur les yeux.

Que faire ? Aucun autre photographe n’est présent sur les lieux. C’est la seule photo disponible. Heureusement, les spécialistes des journaux ont de la ressource. Personne ne connaît encore le visage de Seznec. Il vient seulement de sortir de l’anonymat pour entrer durablement dans l’actualité. Pourquoi ne pas remanier la photo ? Pourquoi ne pas redessiner les yeux de Seznec.

C’est ce que fait "L’Echo de Paris" dans son édition du lendemain matin. Seznec y apparaît sous un aspect plaisant, les yeux écarquillés.

C’est ce que fait "Le Matin" avec un résultat totalement différent : un Seznec serein au regard pénétrant, mais d’une grande douceur. Le cliché est flatteur, avantageux. Celui incontestablement d’un innocent qui n’a rien à se reprocher. On comprend que les partisans de l’innocence totale s’en emparent. Comment un homme au regard si doux aurait-il pu assassiner son ami Quémeneur ?

Personne toutefois ne s’en sert pour illustrer la couverture d’un livre. Il faut attendre 2010 pour que le petit-fils Denis Seznec saute le pas. La couverture à la photo "retouchée" prend place dans la vitrine des libraires. "Retouchée", "redessinée", "révisée", "faussée", chacun choisira son adjectif.

Quand je vous disais que les couvertures des livres sont parlantes.

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On trouvera dans la rubrique Médias les différents articles et émissions qui ont été consacrés à "Pour en finir avec l’affaire Seznec".



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